EUROPE OCCIDENTALE - Politique industrielle jusqu’en 1983

EUROPE OCCIDENTALE - Politique industrielle jusqu’en 1983
EUROPE OCCIDENTALE - Politique industrielle jusqu’en 1983

Contribuant pour 41 p. 100 au produit intérieur brut de la Communauté économique européenne à douze, occupant 33 p. 100 de l’emploi global, assurant 80 p. 100 des exportations de marchandises, l’industrie tient une place de première importance dans la vie économique et sociale. Mais son rôle est encore plus décisif car c’est en effet essentiellement par l’industrie que le progrès des connaissances, qui découle de la recherche scientifique et technique, vient irriguer l’ensemble de l’économie: matériel, engrais, produits chimiques pour l’agriculture, machines et nouveaux matériaux pour l’industrie et le bâtiment, matériel de transport, matériels pour les activités tertiaires, commerce et services, enfin biens de consommation et d’équipement du logement. Aussi, aucun gouvernement ne peut-il se désintéresser de l’évolution de l’industrie et chaque pays met-il en œuvre une politique industrielle.

L’industrie moderne est caractérisée par trois traits fondamentaux. La grande généralité des économies d’échelle: les coûts unitaires de production sont plus faibles dans des grandes unités de production (sidérurgie, chimie, etc.) ou lorsque les séries produites sont longues (automobile, aéronautique, construction mécanique ou électrique); le rythme intense de l’innovation technologique, avec apparition fréquente de nouveaux produits et de nouveaux procédés de production, mais au prix de dépenses souvent substantielles; l’intensité de la concurrence internationale sur tous les marchés.

On voit l’importance de l’aspect dimension, qu’il s’agisse de faire baisser les coûts unitaires, de financer l’innovation, d’organiser la concurrence internationale. De cela découle l’utilité, pour la Communauté européenne, de mettre en œuvre une stratégie industrielle venant compléter et renforcer les stratégies nationales des entreprises et des gouvernements.

1. Présentation de l’industrie européenne

Les tableaux 1 et 2 qui situent cette industrie font ressortir quelques points saillants:

– la place appréciable tenue par la fabrication de biens d’équipement; avec les États-Unis et le Japon, la C.E.E. est l’un des trois grands fournisseurs de biens d’équipement de la planète; les pays de l’Est exportent très peu vers le reste du monde et sont en revanche d’assez gros importateurs;

– le rôle de premier plan tenu par l’Allemagne fédérale, tant pour l’industrie tout entière que pour les machines;

– la place importante de la France pour le matériel de transport;

– la part encore très importante du textile et de l’habillement en Italie.

Dans son ensemble, l’industrie européenne est très diversifiée, couvrant la quasi-totalité des biens manufacturés (à l’exception de quelques produits tels que les avions subsoniques transcontinentaux ou les très gros ordinateurs), mais pas toujours en quantités suffisantes pour couvrir ses besoins (la situation est évidemment différente pour chaque pays, du fait d’une spécialisation intra-branche assez poussée). Par comparaison avec les deux grands concurrents que sont les États-Unis et le Japon, la concentration sur les produits qui préparent le futur (produits assurant la maîtrise technologique et produits d’investissement principaux) est moins poussée. Le cœur du problème industriel de l’Europe est là: l’efficacité actuelle est correcte, comme le prouve la place très substantielle tenue dans le commerce international, mais l’avenir est insuffisamment préparé.

Enfin, si l’économie des pays de l’Europe occidentale est à base d’entreprises privées, il existe dans plusieurs pays un appréciable secteur public industriel. En pourcentage de la valeur ajoutée totale de l’économie (part dans le P.I.B.), les entreprises publiques représentent environ 25 p. 100 en Italie, 14 p. 100 en France, 12 p. 100 au Royaume-Uni, 10 p. 100 en Allemagne, avec d’ailleurs des conceptions et règles de gestion assez différentes.

2. Raisons d’être d’une politique industrielle européenne

Les défis de demain

L’appareil productif de la Communauté – comme d’ailleurs celui des autres pays du monde – est soumis à la nécessité d’une perpétuelle adaptation, sous la pression conjointe de l’évolution technologique et de la concurrence extérieure.

L’Europe et le monde ont vécu depuis trente ans des transformations technologiques à un rythme inconnu jusqu’alors et tout laisse penser que ce rythme ne se ralentira pas au cours des vingt prochaines années. Par suite de l’intense effort de recherche du dernier quart de siècle, nous sommes aujourd’hui – et nous continuerons à être dans les prochaines années – en face d’un gigantesque stock de connaissances qui se traduira dans les réalités concrètes de la vie économique et sociale, car les besoins à satisfaire sont trop grands, chez nous ou dans le reste du monde, pour qu’on se prive des moyens de les satisfaire.

L’ouverture sur l’extérieur contribuera à accélérer cette évolution technologique. L’Europe est immergée dans un monde dont les transformations viennent la frapper de plein fouet, qu’il s’agisse des pays déjà industrialisés, des nouveaux pays industriels, des fournisseurs d’énergie et de matières premières, et elle ne peut se replier sur elle-même, à cause de ses importations inéluctables.

La concurrence des pays industrialisés, si elle s’est transformée, restera forte. À de nombreux indices, on a l’impression que va s’amorcer un nouveau dynamisme de l’économie américaine. Quant au Japon, si certains facteurs de sa très rapide croissance se sont atténués, il a su habilement prendre le tournant et met en œuvre une stratégie d’évolution très efficace. Dans le même temps, de nouveaux pays industrialisés apparaissent sur la scène mondiale, et la concurrence qu’on a connue, pour divers produits, de la part du Japon va se manifester dans les prochaines années pour de multiples autres produits, de la part de nombreux autres pays. Enfin, la pression extérieure exercée par les fournisseurs d’énergie et de matières premières ne sera pas moins forte.

Confrontée à cette forte pression économique du reste du monde, la Communauté ne peut pas l’atténuer en réduisant son ouverture sur l’extérieur. Toute réduction des importations aurait des chances de s’accompagner, plus ou moins rapidement, d’une contraction des exportations, et une fraction appréciable des produits importés ne peut pas être remplacée par des productions de la Communauté (énergie, minerais, produits agricoles tropicaux). C’est par une concentration des exportations sur des produits riches en matière grise, en inventivité, en innovation, que l’Europe peut contrebalancer sa pauvreté en ressources naturelles. L’Europe est ainsi condamnée à connaître une évolution incessante de son industrie.

La nécessité d’une stratégie industrielle communautaire

Dans des économies de marché décentralisées comme celles des pays de la Communauté, la responsabilité de la production et de l’évolution de l’appareil productif incombe essentiellement aux entreprises. Néanmoins, face à la complexité de la mise en place d’un bon système productif, la puissance publique doit également intervenir pour stimuler, orienter ou canaliser les mutations. Elle doit à la fois fournir un cadre général favorisant le bon fonctionnement des entreprises et, dans divers cas, infléchir les décisions de celles-ci: c’est ce qu’on appelle la politique industrielle.

Mais ces politiques industrielles nationales, mises en œuvre sous des formes variées dans tous les pays de la Communauté, sont insuffisantes. D’une part, elles risquent d’être contradictoires les unes avec les autres et de se neutraliser partiellement, d’autre part elles méconnaissent les atouts propres que peut offrir la dimension communautaire pour obtenir des gains de coûts, affronter des risques économiques plus grands, gagner du temps dans la course technologique, bénéficier de puissance dans la compétition mondiale.

Pour bénéficier des économies d’échelle, tout en préservant le dynamisme de la concurrence grâce à la coexistence de plusieurs entreprises, il faut travailler sur de grands espaces économiques. C’est la raison d’être du Marché commun.

Des opérations, dont on espère beaucoup, mais qui présentent néanmoins un risque important, peuvent paraître trop risquées pour un pays, et parfaitement raisonnables pour la Communauté: on trouve des exemples de ce genre dans la technologie nucléaire avancée (surrégénérateurs, fusion), dans les activités spatiales, dans l’électronique.

Un financement commun par plusieurs partenaires peut permettre de gagner du temps, et, dans la course technologique, la rapidité est souvent la condition même du succès. Acceptation d’opérations prometteuses, mais risquées, et gain de temps peuvent ainsi être l’effet bénéfique d’opérations conçues et organisées à l’échelle communautaire.

Le fait, pour les Européens, de disposer d’une «puissance publique» politique soutenue par 260 millions d’habitants, et non seulement par 50 ou 10, leur donne la possibilité d’une influence considérablement plus forte dans les négociations internationales, qu’il s’agisse de défendre les intérêts européens contre des interlocuteurs agressifs ou de pousser à l’adoption de mesures qui contribuent à mettre en place progressivement un ordre économique international plus satisfaisant.

Qu’il s’agisse alors d’aider chaque pays à mieux structurer l’ensemble de ses mesures de politique industrielle pour en renforcer la complémentarité, de veiller à éviter que les actions nationales soient dirigées, au moins partiellement, les unes contre les autres, enfin de jouer explicitement des divers atouts qu’offre la dimension communautaire dans la compétition mondiale et face à l’accélération du progrès technologique, l’apparition d’une véritable politique industrielle communautaire paraît une nécessité de plus en plus pressante.

3. Instruments d’une politique industrielle communautaire

Constitution d’un grand marché, cohérence des diverses politiques économiques nationales, mise en œuvre d’une politique industrielle communautaire, tels sont les trois grands axes de l’action communautaire susceptibles de contribuer à un renforcement de l’efficacité de l’appareil productif de la Communauté et pour lesquels des instruments ont été explicitement prévus par le traité de Rome créant la C.E.E.

Le Marché commun

Le premier axe consiste à créer et à faire fonctionner le Marché commun, c’est-à-dire à créer un vaste espace économique homogène et considéré comme tel par les entreprises. Le «grand marché» doit permettre aux producteurs, par une spécialisation suffisante, d’exploiter pleinement les économies d’échelle que rend possible la technologie moderne, d’utiliser au mieux les avantages qu’offrent certaines localisations par rapport à d’autres et de bénéficier d’un large marché des capitaux et de l’ensemble des connaissances technologiques existantes, tandis que les consommateurs peuvent profiter de la variété des produits et des prestations qui découle de l’accroissement du nombre des fournisseurs. Le grand marché suppose que soient pleinement assurées les quatre libertés (libre circulation des marchandises, des capitaux, des hommes et liberté d’établissement), que soient respectées un minimum de règles de concurrence, enfin que disparaissent diverses disparités entre les législations et les réglementations nationales.

Pour la libre circulation des marchandises, la réalisation fondamentale a été la suppression totale des droits de douane entre les pays de la Communauté et l’établissement d’un tarif douanier commun vis-à-vis du reste du monde. Trois obstacles principaux demeurent encore:

– les disparités fiscales; l’obstacle est atténué par des procédures de détaxation et retaxation au franchissement d’une frontière;

– les entraves techniques, tenant à ce que les diverses réglementations techniques nationales ne sont pas pleinement harmonisées;

– l’inachèvement de l’union douanière, avec le maintien de disparités dans les procédures nationales.

En ce qui concerne la libre circulation des travailleurs, les obstacles généraux ont disparu; en revanche, la reconnaissance mutuelle des diplômes et la liberté d’établissement ne sont pas encore complètement établies.

C’est sur la libre circulation des capitaux que le processus est le moins avancé, et la solution de remplacement, le marché des eurodevises, si elle apporte des facilités aux entreprises, pose aux gouvernements des problèmes pour la mise en œuvre de leurs politiques monétaires. Au total, le grand Marché commun, sans être parfait, est très largement réalisé.

La politique de concurrence

Le grand marché ne joue pleinement son rôle de stimulateur de l’efficacité du système productif au service du consommateur que si les entreprises et les gouvernements respectent un certain nombre de règles: pas d’ententes susceptibles d’affecter la concurrence et pas d’usage abusif de positions dominantes pour les entreprises, pas d’aides ou d’interventions publiques venant créer des discriminations entre les entreprises du pays et celles des autres pays membres.

L’article 85 du traité de Rome pose le principe général de l’interdiction des ententes lorsqu’il s’agit d’accords entre entreprises qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du Marché commun et qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres. Cet article prévoit également des situations où cette interdiction de plein droit ne joue pas. L’article 86 prévoit l’interdiction des abus de position dominante sur le Marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci, de la part d’une ou de plusieurs entreprises, lorsque le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté. Il se limite ainsi à sanctionner, a posteriori, l’usage abusif de position dominante et joue donc essentiellement un rôle dissuasif.

Enfin, l’article 92 précise que les aides d’État sont incompatibles avec le Marché commun lorsqu’elles faussent la concurrence. Il introduit toutefois, dans son alinéa 3, la possibilité de dérogations, puisque peuvent être déclarées compatibles avec le Marché commun «les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques (quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun), les aides destinées à promouvoir la réalisation d’un projet important d’intérêt européen commun, enfin les autres catégories d’aides déterminées par décision du Conseil».

La formulation de l’article 92 est donc souple et nuancée, et sa mise en œuvre l’est tout autant. L’interprétation actuelle est qu’il faut donner priorité aux restructurations face à la concurrence internationale. Aussi l’approche de la Commission est-elle, a priori, positive tant en ce qui concerne les aides à l’égard des secteurs en crise qui doivent procéder à une profonde restructuration, qu’à l’égard d’un soutien et d’un stimulant financier vis-à-vis des secteurs d’avenir à haute technologie et à risque élevé. Il en va de même pour des actions ou des mesures de caractère horizontal répondant aux besoins et aux nécessités d’un ajustement et d’une adaptation positives de l’industrie communautaire.

Les interventions financières

L’organisation de la Communauté est telle que la fiscalité reste purement du ressort des États. En revanche, la possibilité d’accorder des aides financières est prévue par les traités et peut consister soit en versement de fonds, à titre définitif, à partir du budget de la Communauté, soit en octroi de prêts.

La Communauté dispose d’un budget propre lui permettant d’appuyer par des moyens financiers les politiques qui lui paraissent nécessaires. Actuellement, les crédits concernant explicitement la recherche, la technologie et l’énergie ne représentent que 2 p. 100 du budget total. On doit toutefois observer que la part relative de ces crédits dans le budget a tendance à augmenter, en même temps que leur destination se diversifie. Pendant plusieurs années, il s’est agi uniquement de financer la recherche nucléaire, puis une certaine diversification s’est faite au profit de la recherche dans d’autres domaines, notamment celui de l’énergie, enfin, depuis peu, des projets à caractère technologique sont également inscrits dans le budget communautaire.

Financées par des emprunts, les interventions financières de la C.E.C.A. forment un ensemble assez complet de moyens financiers pour faciliter et accompagner le développement, la modernisation et l’adaptation continue de l’appareil productif en même temps que le réemploi dans d’autres activités de la main-d’œuvre dégagée par les restructurations des industries du charbon et de l’acier.

Le même mécanisme n’est pas prévu par le traité de Rome pour l’ensemble de l’économie, mais celui-ci a créé la Banque européenne d’investissement (art. 129) avec pour «mission de contribuer, [...] au développement équilibré et sans heurt du Marché commun dans l’intérêt de la Communauté, en finançant des projets qui favorisent le développement régional, la modernisation ou la création d’entreprises, ou qui présentent un intérêt commun pour plusieurs États membres».

Les ressources de la Banque sont constituées par son capital mais surtout par des emprunts lancés sur les marchés nationaux et internationaux (pour la période 1961-1981, 14,9 milliards d’unité de compte). La Banque peut accorder des prêts ou des garanties aussi bien à des entreprises, privées ou publiques, qu’à des collectivités publiques. Elle intervient en complément d’autres sources de financement, sa participation n’excédant pas 50 p. 100 du coût total du projet. On a là un instrument d’une ampleur appréciable qui a jusqu’à maintenant été utilisé plutôt pour des opérations au coup par coup, mais qui pourrait être mis plus systématiquement au service d’une véritable stratégie industrielle communautaire.

Enfin, le nouvel instrument communautaire d’emprunts et de prêts (N.I.C.) a été créé en octobre 1978, dans le cadre des efforts visant à améliorer le fonctionnement de l’union économique et monétaire. L’objectif général poursuivi par cet instrument communautaire est de financer, sous forme de prêts, des projets d’investissement qui contribuent à une convergence et à une intégration croissante des politiques économiques des États membres et qui répondent aux objectifs prioritaires de la Communauté dans les secteurs de l’énergie, de l’industrie et des travaux d’infrastructure.

Les marchés publics

L’attribution préférentielle des marchés publics à des fournisseurs nationaux est dans tous les pays une profonde réalité. Dans la mesure où elle crée une discrimination voulue contre les produits en provenance d’autres pays, cette pratique est évidemment contraire à l’esprit du traité de Rome, puisqu’elle s’oppose à la libre circulation des marchandises. L’action communautaire peut alors revêtir deux formes: l’une négative, par la suppression des pratiques préférentielles nationales (la Commission a publié deux directives qui rendent obligatoire l’ouverture des marchés publics, l’une concernant la fourniture de marchandises, l’autre la prestation de travaux), l’autre positive par l’utilisation de marchés publics préférentiels à une échelle communautaire. L’ampleur des commandes qui en résulterait favoriserait l’exploitation des économies d’échelle, en même temps que la simultanéité de l’opération pour une panoplie assez large de produits devrait permettre à chaque pays d’y trouver un produit dans lequel il est spécialisé: cet «effet de compensation» devrait alors faciliter l’acceptation de l’idée par les divers partenaires.

Les relations commerciales extérieures

L’organisation des relations extérieures est un élément décisif pour l’évolution d’un système productif. Le traité est très précis sur ce point: il pose comme orientation fondamentale le principe d’une large ouverture sur l’extérieur et décide que la politique commerciale doit être une politique commune.

En application du premier principe, la Communauté a fixé, à la suite des négociations du Kennedy Round, son tarif douanier commun à un niveau bas; lors des négociations du T 拏ky 拏 Round, elle a consenti de nouvelles baisses des droits de douane et d’appréciables réductions des obstacles non tarifaires. Si on ajoute que le tarif douanier est très homogène (il y a peu de disparités entre produits), on arrive à la constatation que la C.E.E. est l’espace économique le moins protégé dans le monde.

Parfaitement acceptable en période d’expansion économique, et si les partenaires jouent pleinement le jeu du libre-échange, cette attitude devient plus difficile à soutenir en période de crise économique et face à des partenaires dont le comportement est discutable. Il est alors légitime de repenser la philosophie de l’ouverture sur l’extérieur, non certes pour l’abandonner, mais pour la nuancer, en maintenant l’idée de la recherche d’une large ouverture, mais en soumettant celle-ci à des restrictions ou des ralentissements temporaires négociés avec les partenaires lorsque les conditions d’un fonctionnement équilibré des échanges ne paraissent pas vérifiées.

Pour repenser ces problèmes et discuter dans de bonnes conditions, la Communauté est mieux placée que ne le serait chaque pays individuellement, ayant, du fait de sa dimension économique, beaucoup plus de poids dans les négociations internationales, que ce soit avec un partenaire isolé ou dans des enceintes multinationales. Il est donc particulièrement intéressant que le traité ait prévu que la politique commerciale extérieure soit une politique commune. La Communauté parle d’une seule voix dans la plupart des négociations internationales; ce fut le cas lors du Kennedy Round et du T 拏ky 拏 Round, c’est le cas pour les accords multifibres ou le fonctionnement du système des préférences généralisées.

4. État actuel et perspectives de la politique industrielle communautaire

Le traité de Rome n’ayant pas prévu explicitement de politique industrielle, il a fallu innover. En fait, on a d’abord mis en place le Marché commun (ainsi que les instruments détaillés prévus pour l’acier par le traité C.E.C.A.); puis on a pris conscience qu’il était souhaitable d’aller plus loin, mais la progression sur ce chemin est lente, car il est difficile de parvenir à un accord de tous les pays membres.

Deux traits essentiels caractérisent la stratégie industrielle européenne: la nécessaire complémentarité des mesures communautaires et des mesures nationales, l’extrême diversité des situations – et donc des actions à mener – selon les secteurs.

Il n’est pas question de transférer au niveau de la Communauté toutes les responsabilités et toutes les tâches de la puissance publique, en d’autres termes d’avoir une politique industrielle commune; outre qu’une telle vue des choses ne serait acceptée par aucun pays membre, elle aboutirait à une centralisation tout à fait excessive, source de nombreuses difficultés.

Le partage optimal des tâches entre les entreprises, les gouvernements nationaux, la Communauté revêt évidemment une forme très différente suivant les secteurs d’activité.

Pour les produits de consommation intermédiaire, relativement standardisés, à assez fort coefficient de capital (12 p. 100 de l’emploi industriel), les problèmes essentiels à résoudre sont: la coordination des investissements, pour éviter des surcapacités (sources de gaspillage et d’effondrement des prix) ou des pénuries, la transparence et la régularité du fonctionnement des marchés, éventuellement la protection contre des fournisseurs extérieurs ayant des pratiques proches du dumping. La tâche primordiale de la Communauté est alors d’organiser cette coordination des investissements, tant à l’échelon de la C.E.E. qu’avec les autres producteurs mondiaux, d’assurer la transparence des marchés, d’avoir une politique commerciale extérieure qui, soit par des protections aux frontières, soit en suscitant des accords d’autolimitation, garantisse les producteurs de la Communauté contre l’effet néfaste des chocs d’importations erratiques. Une telle politique est menée pour la sidérurgie, en application des stipulations du traité C.E.C.A. Elle pourrait concerner également les produits chimiques de base et les fibres textiles d’origine chimique.

Pour les biens de consommation courante, de fabrication relativement simple, ne nécessitant ni main-d’œuvre très qualifiée, ni investissements très lourds (de 20 à 25 p. 100 de la main-d’œuvre), le problème essentiel est la concurrence des pays à bas salaires et des nouveaux pays industrialisés. La riposte peut être d’une part une adaptation technologique par recours à des techniques beaucoup plus mécanisées, d’autre part une stratégie commerciale permettant une évolution progressive de la production. Par la création et la diffusion de connaissances, la Communauté peut apporter un concours non négligeable, mais c’est surtout par la définition et la mise en œuvre d’une stratégie commerciale commune qu’elle peut apporter un concours décisif. C’est ainsi que, pour les produits textiles, la Communauté a négocié l’accord multifibres (A.M.F.) qui fixe des plafonds aux produits textiles entrant en franchise de droits de douane.

À côté des produits textiles, entrent dans cette catégorie les cuirs et chaussures, les produits de presse-édition, une partie importante des industries du bois et de l’ameublement et la partie des industries du travail des métaux et de la construction mécanique qui fabrique des objets de qualité courante. Tous ces produits seront de plus en plus soumis à la concurrence des pays en voie de développement et l’expérience de l’industrie textile-habillement devrait être utile pour aider à prendre en temps voulu les orientations de réadaptation nécessaires. Le schéma de l’A.M.F. est ici remplacé par le S.P.G. (système des préférences généralisées), mais l’utilité d’introduire une progressivité dans l’évolution des parts de marché n’est pas moins grande.

Dans les secteurs de pointe (de 5 à 6 p. 100), l’activité de recherche et la rapidité de l’innovation jouent un rôle décisif pour le développement et même la survie des entreprises. La croissance des débouchés potentiels est forte, les économies d’échelle sont généralement très substantielles, enfin les marchés publics tiennent souvent une place importante. L’action communautaire peut revêtir de multiples aspects: constitution d’un véritable marché unique, par la suppression des entraves techniques, l’adoption de normes communes et une certaine ouverture des marchés publics; contribution à une stratégie unique de développement par le financement commun de thèmes de recherche, par le lancement de marchés publics communautaires, par l’exécution des projets en coopération, par une attitude commune vis-à-vis des concurrents extérieurs. Des actions de ce type sont en cours ou en gestation dans le secteur de l’électronique et des télécommunications, secteur auquel il faudrait progressivement ajouter l’aérospatial, nombre de produits des industries mécaniques et électriques, certains produits chimiques, les services d’ingénierie les plus sophistiqués, etc.

Les biens d’équipement classiques, de technologie moyennement complexe et modérément coûteuse en capital, bénéficiant généralement d’importantes économies d’échelle (de 28 à 30 p. 100), commencent à être soumis à la concurrence de certains pays nouvellement industrialisés. L’action communautaire peut porter notamment sur la constitution d’un véritable marché unique, quelque peu protégé contre l’extérieur par des normes techniques (y compris toutes les réglementations relatives à la pollution), sur la mise en commun de certaines recherches, sur un effort pour atténuer la concurrence entre partenaires européens sur les marchés extérieurs, à la limite, sur une certaine régulation des importations. Un début d’action de ce genre est engagé dans le secteur automobile, où d’importantes restructurations vont être nécessaires dans les prochaines années. Le cas des chantiers navals, où les problèmes sont plus anciens, fait intervenir la nécessaire coordination des aides publiques nationales. Ces problèmes d’adaptation, qui ne feront que croître, ont toutes chances de concerner également une bonne partie de la construction mécanique (machines-outils et machines variées, appareils de chauffage), la construction électrique (matériel courant) et une partie importante de l’ingénierie.

Comme, au moins en l’état actuel de la technologie, l’activité du bâtiment (70 p. 100) est faiblement internationale, l’action communautaire la plus utile consisterait en une coordination des recherches et un substantiel échange des résultats, dont bénéficierait la construction de logements sur l’ensemble du territoire communautaire (soit 25 p. 100 de la F.C.B.F. et 5,5 p. 100 du P.I.B.). Il en va très différemment pour le génie civil, activité typiquement internationale, pour lequel la constitution du grand marché peut être fort bénéfique.

Bien que les industries agro-alimentaires (moins de 7 p. 100) soient influencées fortement par la structure des prix agricoles telle qu’elle découle de la politique agricole commune, il est étonnant de constater que, dans tous les débats sur le contenu et l’avenir de celle-ci, référence soit très rarement faite aux industries en aval. Une vision plus synthétique et plus coordonnée de l’ensemble de l’agriculture et de l’agro-alimentaire serait certainement utile.

À la grande variété des situations, correspond donc une non moins grande diversité de la nature de l’action communautaire nécessaire: quasi nulle ou faible (notamment sous forme de stimulation de la recherche et de la diffusion des connaissances) pour des produits à marchés localisés, plus importante, mais centrée plutôt soit sur l’achèvement du marché intérieur, soit sur la mise en ordre des relations commerciales avec le reste du monde, pour beaucoup de branches, de première importance enfin, et recourant à une vaste palette d’actions, coordonnées avec les actions nationales, pour les branches de technologie avancée, dont le nombre est limité, mais le rôle crucial pour l’évolution économique et sociale de la Communauté et de chacun des pays européens.

Il y a donc place pour un grand nombre d’actions communautaires au service du développement de l’industrie européenne et la pression de la concurrence étrangère devrait normalement conduire les Européens à y recourir avec une ampleur croissante.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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